Extraits
Afin de vous permettre de pénétrer quelque peu dans mon univers, voici de courts extraits de chacune de mes parutions :
Rien de grave, je t'assure
Samedi 4 avril
Dès qu'il est sorti de la voiture, j'ai compris, à sa mine renfrognée, que quelque chose clochait.
Après le petit-déjeuner, il m'avait annoncé qu'il ne pourrait m'accompagner, comme chaque samedi matin, au marché hebdomadaire car, m'avait-il dit, il devait consulter le docteur Delannoy, notre généraliste, son ami d'enfance, pour une bricole. Une bricole ? Scotchée, j'avais tenté aussitôt de lui demander la raison pour laquelle, brusquement, il avait à voir le médecin mais, pour toute réponse, il avait haussé les épaules et m'avait répondu, laconiquement, que ce n'était rien, que je ne devais pas m'inquiéter. Puis, pour éviter toute discussion, sans plus attendre, il s'était levé, il avait enfilé sa veste et, sans un mot supplémentaire, il s'était esquivé. Alors, toute la matinée, j'avais tenté de m'occuper et de ne pas y penser mais, aux alentours de midi, ne le voyant toujours pas revenir et n'y tenant plus, je m'étais postée près de la fenêtre, à l'ombre du rideau, à l'attendre.
Il a claqué sa portière et, après avoir, me semble-t-il, hésité un instant, il s'est avancé sur l'allée. Calfeutrée derrière la porte, j'ai senti, au bruit de son pas lourd écrasant le gravier, mon cœur s'emballer et, pour éviter les palpitations, j'ai tenté, tant bien que mal, de réguler ma respiration. Mais dès qu'il a introduit la clé dans la serrure, j'ai cru défaillir. Après s'être frotté les semelles consciencieusement sur le paillasson, il est entré. Il ne m'a pas adressé le moindre sourire et, contrairement à son habitude, ne s'est pas approché pour m'embrasser sur la joue de manière machinale. Non, il m'a simplement frôlée, est passé près de moi sans réellement me voir, et est allé s'affaler de tout son long sur le divan du salon.
Après quelques minutes d'un silence pesant, tandis qu'il restait immobile, les yeux mi-clos, j'ai tenté de lui demander maladroitement, la gorge serrée et les jambes tremblantes, si tout allait bien. Il devait avoir oublié ma présence car, surpris par le son de ma voix, il a sursauté. Il s'est redressé quelque peu, ce qui lui a permis de reprendre un peu de consistance et, tout en me fixant du regard, il m'a lancé d'un ton volontairement désinvolte :
- Le toubib voudrait que tu m'accompagnes chez lui.
Aussitôt, j'ai senti le sol se dérober sous mes pieds et mon sang se glacer !
Fractures familiales
Imbroglio familial
Désemparée, je quitte la villa en catimini. Nulle âme à l'horizon. À plus de minuit, il aurait été étonnant qu'il en fût autrement dans ce quartier résidentiel. D'un pas rapide, je me dirige vers ma voiture que j'avais, heureusement, pris soin de garer à plus d'un kilomètre, dans une rue proche du centre-ville. L'air glacial me pique le visage. Je tremble intérieurement. Maintenant que la tension est retombée, je prends, peu à peu, tout en marchant, conscience de la gravité de l'acte que je viens d'accomplir. L'avais-je prémédité ? Je ne pourrais l'affirmer mais toujours est-il que j'avais quand même, avant de quitter la maison, fourré dans mon sac le couteau le plus tranchant trouvé dans ma cuisine.
Je m'engouffre enfin dans ma vieille caisse, reprends mon souffle, jette un regard aux alentours. Pas un chien : la rue est déserte, endormie. Je démarre lentement, évite la grand-place et ses cafés encore ouverts, prends soin, tout en roulant, de respecter les limitations de vitesse et, après quelques minutes interminables, j'arrive enfin à proximité de mon appartement. Je gare la voiture au sous-sol, emprunte l'ascenseur jusqu'au troisième, récupère mes clés tout au fond de mon sac, ouvre la porte et pénètre enfin dans mon logis. Je n'allume pas, me dirige à tâtons vers le divan situé face à la baie vitrée et me laisse choir dans celui-ci. Je me détends peu à peu. Mes pulsations cardiaques retrouvent un rythme normal. Mon taux d'adrénaline doit avoir baissé car je peux, à nouveau, commencer à réfléchir posément et, non plus, à réagir instinctivement. Je suis chez moi, bien au chaud, enfermée à double tour, à l'abri du monde extérieur. La menace a disparu. Je m'apaise.
Je pense à Latifa, sans doute profondément endormie, à quelques mètres de moi, dans la chambre d'amis. Elle ignore tout encore de mes agissements nocturnes. J'hésite à l'éveiller pour tout lui révéler. Mais, après tout, ne serait-il pas préférable que je me taise ? Elle pourrait imaginer, tout simplement, un incroyable coup de main du destin. Mais non, il faut que je lui raconte. Il faut qu'elle soit complice, que j'assure mes arrières, qu'elle me fournisse un alibi, au cas, peu probable, où... Après tout, elle me doit bien cela, maintenant.
Je ne comprends pas ce qui m'a prise. Aurais-je été envoûtée ? Jamais, je ne me serais imaginée capable d'accomplir de telles atrocités. Et pourtant !
Une famille insensée
Confortablement installés sur la terrasse, nous achevions tranquillement notre repas, tout en profitant de la douceur exceptionnelle de cette magnifique fin de journée de début septembre, quand ma fille, pour je ne sais quelle affreuse raison, a abordé avec sa mère ses problèmes de ménopause.
- Anna, arrête, je t'en prie, me suis-je écrié aussitôt, pris d'un haut-le-cœur. Tu ne vas tout de même pas nous gâcher la soirée avec tes histoires d'aménorrhée. Laisse-moi au moins terminer paisiblement ma charlotte aux fraises.
À vrai dire, il aurait été préférable que je m'abstienne car, si Françoise, blasée, s'est contentée de lever les yeux au ciel, la réplique de ma progéniture a été, pour le moins, cinglante :
- Mais qu'est-ce qu'il a, le vieux schnock, a-t-elle éructé, tandis qu'un méchant rictus déformait son visage, le beau jeune homme ne supporte pas que sa fille puisse avoir atteint l'âge d'être grand-mère. Le gentil monsieur ne souhaite pas être confronté aux réalités cruelles et désespérantes de la vie. Mais, quoi que tu fasses, quoi que tu dises, tu n'es plus rien qu'un vieux débris, tu sais, mon papa chéri. La grande faucheuse te tend les bras. Le four crématoire est chaud. Il n'attend plus que toi.
- N'exagère pas, ma chérie, a lancé Françoise, décontenancée, pour tenter d'interrompre ce flot subit et inattendu de haine.
Mais, plutôt que de la calmer, ces mots maladroits ont accentué encore la rancœur de ma fille, qui a repris de plus belle :
- C'est ça, défends-le ce salopard. Franchement, maman, tu n'en as pas marre de porter les cornes depuis toutes ces années ? Comment réussis-tu encore d'ailleurs, avec de tels apparats, à franchir les portes ? T'es mariée depuis une éternité à un salaud, rien qu'un salaud, je te le dis.
Suffoquée, Françoise, après avoir encaissé le choc, a tenté, tant bien que mal, de réagir.
- Anna, je t'en prie, tu n'as pas le droit de sortir des trucs pareils, sans queue ni tête, a-t-elle répliqué, sans grande conviction.
Puis elle s'est littéralement écroulée sur sa chaise, sonnée pour le compte.
Tremblante, ma fille a semblé ensuite vouloir poursuivre mais, après m'avoir lancé un regard de travers, et constaté ma parfaite impassibilité, elle s'est abstenue de tout nouveau commentaire déplacé.
Alors, comme par magie, le calme est revenu autour de la table et un silence apaisant a envahi le jardin et ses alentours. J'en ai donc profité pour me resservir une part de ce délicieux gâteau.
Mon Dieu, qu'elle se déniche un nouvel homme, et vite, ai-je pensé à cet instant, tandis que le soleil, indifférent à nos querelles familiales, se couchait à l'horizon.
Dérapages inattendus
Pourquoi es-tu vivante ?
Le dimanche six juillet 2014 à quatre heures dix-sept, la mort m'avait fixé rendez-vous !
À ce moment précis, le car de tourisme dans lequel je devais me trouver, s'est embrasé sur l'autoroute A6, après avoir percuté une barrière de sécurité et s'être couché sur le flanc.
Aucune des cinquante-trois personnes à bord du véhicule n'a survécu à ce crash dont les causes n'ont jamais pu être déterminées avec certitude.
Mais, curieusement, le destin m'a épargnée et, depuis lors, ma vie a été chamboulée.
Juliette, ma meilleure amie, m'avait proposé, quelques semaines plus tôt, de l'accompagner en vacances dans un camping de Martigues. Sur un coup de tête, Axel, son mec, y avait loué par internet un mobile home de six personnes pour deux semaines.
« La Côte d'Azur, pourquoi pas, cela te remontera peut-être le moral », m'étais-je dit et j'avais accepté, assez enthousiaste.
Puis, un peu plus tard, Juliette m'avait appris qu'un pote d'Axel nous accompagnerait.
« Cela sent le piège », avais-je pensé, mais je n'avais pas protesté.
Nous nous étions rencontrés ensuite chez Juliette pour faire connaissance et préparer le voyage. Il s'appelait Aurélien, avait vingt-deux ans, et, bien qu'un peu enveloppé et dégarni, je l'avais trouvé mignon. De plus, au cours de la conversation, il était même parvenu, exploit rare, à m'arracher quelques rires.
« Avec lui, je devrais bien m'amuser », en avais-je conclu.
Et, somme toute, après deux ans d'abstinence, il était aussi peut-être temps que je renoue avec le sexe.
Pendant notre réunion, j'avais proposé, pour limiter les frais, d'effectuer le parcours en car plutôt qu'en voiture. Ils avaient pesé le pour et le contre et, finalement, leurs budgets étant aussi serrés que le mien, ils avaient accepté et m'avaient même félicitée pour cette idée géniale.
Mal leur en prit !
Le départ du car était prévu à vingt heures sur la Grand-Place de Tourcoing. Nous avions convenu de nous y retrouver dans une brasserie une heure plus tôt, le temps d'avaler un sandwich.
Mais, à cette heure, je venais d'être admise aux soins intensifs du centre hospitalier Gustave Dron de cette même ville !...
Un endroit si tranquille
... Je file à la cuisine, j'ouvre la porte du frigo et je constate, comme je m'en doutais, que hormis quelques bières, un ravier de beurre rance et un pot de ketchup, il est désespérément vide.
« Les courses, j'ai oublié les courses ! Je suis impardonnable. Cela va encore être ma fête. »
Par dépit, je me sers une deuxième bière et je retourne m'affaler dans le fauteuil.
Je me sens usé, tellement usé.
« À quarante-six ans. Ne déconne pas, Tom. »
Puis, une pensée cocasse m'arrache un sourire :
« Ouais, l'hiver approche et si tu veux continuer à honorer convenablement Sabine - neuf ans de moins que toi, quand même -, faudra que tu penses à t'acheter un complexe vitaminé ».
Mais soudain, alors que cette idée saugrenue m'amuse encore, je distingue, vision bizarre autant qu'étrange, au travers de la baie vitrée, à la lueur de la lune, Ariane, la voisine, surgir des buissons, près du bois.
J'écarquille les yeux : il n'y a aucun doute, c'est bien elle, vêtue d'une unique chemise de nuit blanche !
Je dois cependant halluciner car elle se met maintenant à traverser ma pelouse en direction de son logis en se déplaçant comme une ballerine qui esquisserait des entrechats !
Tout à coup, elle s'arrête brusquement et, comme pétrifiée, elle tourne lentement la tête dans ma direction et me lance un regard froid de spectre.
Surpris, je me rapetisse autant que possible dans le canapé. Je n'y comprends rien car, j'en suis sûr, la vieille ne peut m'apercevoir : je n'ai pas allumé et la pièce est plongée dans une obscurité quasi totale.
Puis, soudain, elle reprend sa marche chaloupée, et se dirige droit vers moi !
Pris d'un accès de terreur subit, je reste absolument immobile et me refuse autant que possible de respirer.
Seigneur, elle est à moins d'un mètre, je la vois distinctement à présent !
Lentement, elle colle son visage, d'une pâleur cadavérique, sur la vitre et scrute mon intérieur. Ensuite, elle ouvre la bouche, en sort une langue toute bleue et elle se met à lécher goulûment le vitrage.
Je me liquéfie.
Je me liquéfie car ma voisine, ma chère voisine, cette brave sexagénaire tellement bien de sa personne, tellement aimable, tellement souriante, tellement avenante habituellement, en plus d'être terrifiante ce soir de pleine lune, tient dans la main droite un énorme couteau de cuisine.
Un énorme couteau de cuisine ensanglanté !
Tout comme est ensanglantée, je le distingue parfaitement à présent, cette chemise de nuit blanche qui lui dessine pleinement les formes !
Tout comme est ensanglanté son visage terrifiant !
De bien curieuses histoires.
Un contretemps sinistre.
La puissante voiture file à vive allure sur la route droite, déserte, interminable, cernée de toute part par la forêt environnante. Bousculés par un vent violent qui s'est levé depuis peu, les hauts sapins qui remuent méchamment surgissent à tour de rôle furtivement dans la lueur des phares pour replonger tout aussitôt dans l'obscurité. Une haie mouvante infranchissable se dresse de chaque côté du véhicule. Quelques éclairs zèbrent de temps à autre un ciel lourd, pesant, mais pourtant encore étoilé.
L'orage approche, à coup sûr.
Impassible, les yeux rivés sur la partie éclairée du bitume, l'homme accélère encore.
Dans l'habitacle, le bruit du moteur est couvert par la voix envoûtante de Bowie.
« It's a god-awful small affair to the girl with the mousy hair... »
Assise à côté du conducteur, Axelle écoute religieusement chanter son idole dont le décès a été annoncé il y a quelques heures à peine. Elle n'oserait pas l'avouer à Xavier -comment un homme pourrait-il comprendre ?- mais elle n'arrive pas à se remettre de la disparition de celui dont elle attendait toujours avec impatience la sortie du prochain album.
Elle se sent perdue, abandonnée, désespérée.
Plus encore que lors de la mort de son père.
C'est tout dire !
Elle écoute Bowie et les larmes lui viennent aux yeux.
« Faut pas que Xavier s'en aperçoive, se dit-elle, il se moquerait de moi. »
Pour faire diversion, elle ouvre la boîte à gants, en sort un kleenex et fait mine de se moucher.
« Bowie est mort. Bowie est mort. Bowie est mort, ne cesse-t-elle, toujours incrédule, de se répéter. »
Quelques instants plus tard, une décélération brusque du véhicule l'arrache à ses pensées funestes.
- Et merde ! s'écrie tout aussitôt Xavier d'une voix forte en garant la Renault sur le bas-côté.
Les mains serrées sur le volant, le regard dans le vide, il lui demande d'un ton anxieux :
- T'as vu Axou ? T'as vu ? Mais c'était quoi ça ?
Axelle déteste quand Xavier la surnomme Axou mais le moment n'est pas opportun pour le lui rappeler. Comme elle n'a rien vu, elle ne sait que lui répondre. Alors, elle lui renvoie la question :
- C'était quoi ? C'était quoi ? Mais je n'en sais rien moi. Explique-toi !
Xavier tourne la tête vers sa compagne. Elle perçoit à cet instant la lueur inquiète qui habite son regard. Il lui dit:
- Ecoute Axou, je ne vais pas le jurer mais il m'a bien semblé apercevoir une vieille femme décharnée, toute ridée, les nibards et le cul à l'air sur le bord de la route.
Elle croit rêver, ne peut interpréter correctement le sens de cette phrase. De quoi lui parle-t-il ? Elle s'entend lui demander :
- Et qu'est-ce qu'elle faisait ?
- Mais je n'en sais rien, moi, tout est allé tellement vite, une demi-seconde tout au plus avant qu'elle ne disparaisse. J'ai simplement eu la vague impression qu'elle mangeait quelque chose...
Un époux à l'esprit tordu.
J'ai quitté ma femme le huit mai, jour de son anniversaire. Comme je n'avais rien trouvé à lui offrir, j'ai pensé que mon départ la comblerait !
Au petit déjeuner, alors qu'elle terminait sa deuxième biscotte à la confiture et que les craquements de sa mastication me devenaient franchement insupportables, je lui ai dit :
- Céline, j'ai bien réfléchi, il est temps que tu penses à toi et que tu profites de la vie.
Surprise, elle a relevé la tête et m'a regardé d'un air étonné.
J'ai continué :
- Te rends-tu compte chérie que nous sommes mariés depuis près de quarante ans ?
Interloquée, elle n'a pas répondu.
J'ai ajouté très vite :
- Ah, franchement, je te tire mon chapeau ! Supporter mon sale caractère pendant tout ce temps, fallait le faire. Avec, en plus, nos deux sales morveux, tellement bien dans tes jupes, qu'ils n'ont, ni l'un ni l'autre, daigné quitter le nid avant trente berges.
Céline a froncé les sourcils mais, avant qu'elle puisse me rétorquer quoi que ce soit, j'ai enchaîné:
- Ouais, vraiment, cela n'a pas dû être évident pour toi mais tu as toujours tout supporté en silence, même dans les moments les plus difficiles. Et pourtant, des moments difficiles, on peut dire qu'il y en a eu, non ?
Elle a semblé acquiescer.
Je lui ai alors dit :
- Bon, j'ai bien réfléchi, et il n'y a pas à revenir là-dessus, il est maintenant plus que temps pour toi de passer à autre chose.
- Arrête Jean, elle a dit en reposant son reste de biscotte sur la table, si c'est encore une de tes blagues pourries, elle est particulièrement nulle. Qu'est-ce que tu me joues là ?
Je l'ai observée un instant, engoncée dans son peignoir aussi défraîchi que son visage, et en la découvrant aussi misérable, je me suis dit : « Pouah » !
Puis, résolu, j'ai repris :
- Tu sais, chérie, je ne peux me résoudre à te demander de vieillir plus longtemps à mes côtés. Penses-y Céline, t'as soixante balais aujourd'hui. Si tu veux profiter encore un peu décemment de l'existence, pendant que t'es encore un tant soit peu présentable, avant que tout ne s'affaisse irrémédiablement, c'est maintenant ou jamais.
A ce moment précis, j'ai saisi dans son regard ahuri la pensée qui la traversait : « Mon Dieu, pour me sortir de telles horreurs, mon mari doit avoir perdu la tête. »
Je ne me suis pas laissé démonter et j'ai poursuivi :
- Céline, mon amour, je t'offre aujourd'hui le plus beau des cadeaux : la liberté. Voilà : je te quitte. Maintenant, tout de suite ! Libre, tu es libre ma chérie. Libre de vivre ! On va divorcer. C'est merveilleux, non ?
Là, elle a compris que je ne plaisantais pas.
Elle est devenue blême, elle a saisi son bol de café chaud sur la table et, sans aucune hésitation, elle me l'a balancé en pleine figure. Puis, rouge de colère, elle s'est jetée sur moi et, telle une furie, elle m'a griffé le visage de ses ongles crasseux, tout en hurlant :
- Salaud, espèce de salaud, monsieur en a marre de la tronche de sa vieille et il voudrait la jeter comme une vieille chaussette. Mais il rêve ou quoi, l'abruti ? Il a oublié tout ce que j'ai fait pour lui. Mais je m'en vais lui montrer, moi, à ce connard, comment on traite les sagouins de son espèce.
Et elle s'est mise à me frapper, à me frapper de plus en plus fort, à me frapper à s'en abîmer salement les poings.
Je n'ai pas réagi.
Stoïquement, je l'ai laissée se servir de moi comme d'un punching-ball !
L'après-midi, fort du certificat médical établi par mon généraliste faisant état de multiples griffures, de traces de strangulation dans le cou, de brûlures superficielles et de nombreux hématomes un peu partout sur le corps, j'ai déposé plainte à la police pour violences conjugales.
« Cela pourra toujours servir si elle s'avise de me réclamer une pension alimentaire », je me suis dit.
Puis, le soir même, j'ai quitté la maison familiale. Sans regrets !
Histoires fâcheuses.
Amies d'enfance.
... C'en était trop pour moi. L'horreur a ses limites. Je me suis précipitée vers la voiture et j'ai récupéré sous le siège passager le couteau de ton aïeul. Ah ! je t'ai tellement reproché de laisser cette arme dans la bagnole. Mais tu avais raison : le monde d'aujourd'hui est plein d'imprévus auxquels il s'agit de pouvoir faire face, le moment venu. Et alors qu'il récupérait par terre son sac vide, sans réfléchir, la rage au ventre, je me suis lancée sur lui et lui ai planté la lame dans le bide...
... Depuis ce funeste anniversaire, nous avons appris à vivre ensemble tout en nous détestant. S'il n'y avait ces jours, deux ou trois fois par an, où, pour je ne sais quelles raisons obscures, il rentre comme fou à la maison et m'utilise comme punchingball pour évacuer ses frustrations, la vie serait presque supportable.
Jean-Louis apprécie que je sois restée une mère adorable pour mes enfants, une épouse exemplaire aux yeux de nos amis. Je suis satisfaite qu'il ait consenti à me garder et qu'il sache rester discret quant à ses nombreuses maîtresses.
Mais je suis à bout et, depuis vendredi, la sentence sans appel de Pauline, à qui je m'étais confiée, me martèle sans cesse la tête.
- Cet abruti, m'a-t-elle déclaré, il faudrait le buter...
Fumer nuit à la santé.
... Ils l'ont appelé Arthur. Je déteste Arthur.
La nuit, il hurle tout le temps et m'empêche de dormir et la journée, soit il suce les nénés de maman, soit il ronfle.
Moi, sous prétexte que je suis grand, je dois me débrouiller seul. Maman n'a plus le temps de s'occuper de moi. De plus, monsieur Pierre habite avec nous maintenant. Maman voudrait que je l'appelle Pichou. Maman est folle.
Y'a plus de six mois que cela dure.
C'est pas marrant un petit frère.
C'est chiant un petit frère...
... - Regarde sur YouTube ce qui risque de t'arriver, elle m'a dit. Il y a des tas de dingues qui, actuellement, kidnappent les gens comme toi et moi. Ils leur mettent un tee-shirt et un pantalon orange, et puis, soit ils leur coupent la tête, soit ils les mettent dans une cage et les brûlent vifs. Et ensuite, ils s'amusent à diffuser les images de leurs méfaits dans le monde entier.
- Mais, je n'ai rien fait de mal, moi, je lui ai répondu.
- Et eux, tu crois qu'ils avaient fait quelque chose de mal, Simon ? elle m'a dit. Non, les malheureux étaient simplement à la mauvaise place au mauvais moment. Tu veux être à la mauvaise place au mauvais moment, Simon ? Si c'est oui, alors, tu peux partir.
J'ai rien répondu. Je me suis soudain vu les mains liées, vêtu d'une combinaison orange.
J'ai tourné les talons, foncé à la maison, hurlé comme un forcené "maman" en entrant, et je me suis précipité en pleurs vers elle.
- Mais mon bébé, qu'est-ce qui se passe ? elle a demandé.
Je me suis blotti dans ses bras sans répondre. Elle a séché mes larmes. Je me suis apaisé.
J'aime maman.
J'ai pas supporté le choc : je me suis éveillé le lendemain des boutons partout sur le corps...
Histoires à vivre avec ou sans vous.
Décidément, le monde ne va pas bien.
Je me suis levé tôt ce matin-là.
Encore à moitié endormi, j'ai allumé machinalement la télévision avant de prendre mon petit-déjeuner. Je suis tombé sur William Leymergie, plus raide que jamais. Six heures trente : il lançait le premier journal de Télématin.
Après un sujet sur les résultats des élections municipales et la percée du Front National - six maires élus directement au 1er tour, bonjour le fascisme-, la présentatrice nous balança sans broncher que, selon un rapport de l'OMS, la pollution atmosphérique avait tué sept millions de personnes en 2012. Sept millions, rien que ça ! Mais, comme pour nous rassurer, elle ajouta que les régions les plus touchées dans le monde sont l'Asie et le Pacifique avec cinq millions cent mille décès. Oui, bien sûr, cela change tout !
Je n'ai pas supporté : j'ai éteint la télé et je suis allé chercher le journal qui m'attendait dans la boîte. Je l'ai ouvert au hasard et je suis tombé sur la page des faits divers. Tout en terminant mon expresso, j'ai ainsi pris connaissance de la condamnation d'un père et de son fils pour s'être filmés en train de torturer des animaux, de la découverte de trois enfants affamés en Californie et de la condamnation d'un prêtre de quatre-vingt-cinq ans à quinze années de prison pour plus de vingt actes de pédophilie.
Je n'ai plus continué. J'ai balancé cette feuille de chou dans la poubelle.
Décidément, me suis-je dit, le monde ne va pas bien, et je ne vais pas bien...
La curieuse amie de maman.
J'étais tranquillement occupé de jouer au poker avec des potes sur internet lorsqu'on a sonné. Il n'y a pas de doute, à certains moments, il serait préférable d'être sourd.
J'étais, en effet, sur le point d'empocher un joli magot et vlan, le coup de sonnette. C'est fou comme un geste anodin - poser un doigt sur un bouton et appuyer - peut vous pourrir le quotidien.
Maugréant, j'ai lâché la partie un instant, je me suis levé à contrecoeur et je me suis dirigé vers le vestibule. Très irrité, j'ai saisi fermement la poignée de la porte d'entrée et j'ai ouvert celle-ci d'un geste brusque.
A peine avais-je levé les yeux vers l'importun que ma mauvaise humeur se dissipa !
Je me retrouvais pétrifié, béat d'admiration devant une superbe créature, une femme de rêve qui, en me voyant, me lança tout de suite, d'une voix franche au fort accent slave :
- Bonjour, tu dois être Grégory ?
Et qui, sans me laisser le temps de réagir, ajouta un vague sourire au coin des lèvres :
- Moi, c'est Radoslava. J'ai trente-deux ans, je suis originaire d'un petit village près de Sofia et je suis arrivée en Belgique avec mon mari Hristo la semaine dernière. On vient d'emménager dans l'appartement juste à côté de chez toi. Je viens me présenter car j'ai rencontré ta maman dans le hall hier et elle m'a demandé de passer un de ces quatre.
Obnubilé par le physique de mon interlocutrice, je dus fournir un effort considérable pour réussir à saisir le sens des paroles que je venais d'entendre et parvenir à redescendre sur terre.
Et tandis que je la contemplais béatement, idées saugrenues et réflexions déconcertatntes s'entrechoquaient à grande vitesse dans ma tête...
Une lune de miel agitée.
Allongée langoureusement nue sur le lit, elle s'est soudain relevée et cogné violemment la tête deux fois de suite contre le mur en hurlant!
Assister à cette scène ahurissante m'a enfin ouvert les yeux. J'ai dès lors compris que j'avais commis une énorme bêtise en l'épousant dix jours plus tôt.
Une seule issue est encore envisageable à présent : il faut que cette furie disparaisse !
Elle a surgi un soir de juin dans mon existence de jeune homme de bonne famille.
A vingt-cinq ans, j'avais un boulot bien payé pas trop contraignant, une bagnole rutilante et je logeais dans l'appartement luxueux que m'avaient offert mes chers parents pour mon vingtième anniversaire.
Y'a pire comme situation pour un jeune, j'en conviens, mais cependant la vie m'ennuyait profondément.
Je passais mes soirées dans les salles obscures à la recherche de l'illusoire. De nature renfermée, je n'avais guère de contacts avec les blancs-becs de mon âge - ni avec quiconque d'ailleurs, hormis mes collègues de bureau, relations obligées-. Mon semblant d'indifférence à leur égard désespérait les filles ; mon incapacité à les séduire me navrait tout autant.
Tout en scrutant le ciel étoilé d'une beauté absolue, je rêvassais allongé sur un canapé de ma terrasse lorsque les cris de panique d'une voix féminine me ramenèrent tout à coup sur terre.
- Au feu, au feu ! Au feu, au feu ! A l'aide !...
Histoires singulières.
Je m'appelle Louis.
Je m'appelle Louis, j'ai douze ans et je veux mourir. J'ai commis ce soir un acte irréparable. Ma douleur est insupportable, mon remords infini. C'en est trop, je vais en finir. Adieu. Pardonnez-moi et surtout prenez soin d'elle. Je l'aime tant.
Tout avait pourtant commencé comme dans le plus beau des contes une fin d'après-midi de printemps : la journée avait été magnifique, je m'étais amusé comme un fou avec les copains du quartier et, le soir tombant, j'étais occupé à rêvasser dans le jardin à d'improbables aventures teintées d'exotisme lorsqu'une succession de petits cris plaintifs me sortit de ma somnolence.
Je n'eus guère le temps de me poser une foule de questions sur l'origine de cette lamentation car, aussi vite, des fourrés bordant l'extrémité de notre domaine, sortit une minuscule chatte blanche au bout de la queue et au contour des yeux parsemés de poils gris lui procurant un air fripon. Après m'avoir d'abord observé longuement, elle approcha sans hésitation et vint me ...
Une confidente pour sœur Isabelle.
- Vous avez entendu, sœur Marie-Louise? On aurait dit un miaulement.
- Mais non, sœur Isabelle, vous rêvez. Pressez donc plutôt le pas, nous allons manquer le début des vêpres et vous savez que la prieure est très stricte quant au respect de l'horaire des offices.
- Mais si, là, regardez, près du chêne. Un chat, un chat noir. Oh! mon Dieu, comme il est mignon.
- De grâce, sœur Isabelle, venez. La cloche a déjà cessé de sonner.
- Allez-y, allez-y, je vous rejoins de suite. Cette pauvre petite créature du Seigneur a besoin d'aide.
- Et bien petite, car tu es une petite femelle, n'est-ce pas, comment as-tu pu réussir à t'introduire dans le jardin du couvent ?...
L'horoscope.
- Mais, nom d'un chien, arrête de croire à ces sornettes, ce n'est pas un horoscope qui va bouleverser ta vie. Je t'ai dit et répété cent fois que le type qui pond ces trucs niais n'a rien d'un extralucide. S'il l'était réellement, crois-tu qu'il s'amuserait à divulguer ses prévisions pour trois fois rien dans ton magazine pour jeunes filles boutonneuses.
- Oh! arrête papa. Toi, tu ne crois jamais à rien. D'ailleurs, si je sers des petits gâteaux toute la journée à de grosses dindes, c'est de ta faute. Au lieu de m'encourager lorsque je voulais entrer à l'académie, tu n'as pas cessé de me dire que je n'y arriverais pas ; que de toute manière, même si je réussissais, je me retrouverais au chômage ; que c'est un monde de dépravés... Et bien, regarde où j'en suis à présent. Je suis rien d'autre qu'une dépravée...